Marion Des Oiseaux (conte pour les nouvelles générations)

Note au public :

En publiant ce conte et parce que des personnes malveillantes s'appliquent à dénaturer les valeurs fondamentales qui nous constituent, notamment dans l'esprit des jeunes générations, je souhaite : 1) rendre hommage et remercier du fond de mon coeur les auteures de la version originale de ce conte pour leur sagesse et leur sens de la beauté ainsi légués aux générations futures; 2) rendre hommage à la Nature, à toute la Création.

Patricia

Co-auteures :

Madame Marcelle Fournier et feues Mesdames Janine Martin, Béatrice Jaquier, Dany Robert, Cécile Zumthor, Louise Dumas aujourd’hui disparues.

Reprise et finalisation / Illustration : Patricia Rosselló

Marion Des Oiseaux

En plein cœur de la ville, bus et tramways circulent au milieu des embouteillages de midi. Une petite fille assise sur un banc observe avec intérêt tous ces mouvements lorsque trois dames s’assoient à ses côtés.

  • As-tu remis le tissu aux ouvrières ? dit l’une d’elles
  • Oui, ce matin. Elles en sont ravies. Elles se sont aussitôt mises au travail.
  • Alors, de quelle couleur est-il finalement ? Quels motifs as-tu choisi ?
  • Grenat. Grenat, celui avec les cygnes dorés brodés dessus…

La petite fille est si intriguée par ce qu’elle entend qu’elle ne peut s’empêcher de s’exclamer :

  • Mais de quoi parlez-vous ?

Les trois dames s’interrompent et se tournent en direction de la petite voix.

  • De couture !
  • De couture ? Mais qu’est-ce que c'est exactement ?
  • Tu veux vraiment savoir ? Alors viens avec nous !

Enthousiaste, la petite fille se lève la première. La plus jeune des femmes la prend par la main et toutes les quatre s’enfilent dans la circulation bruyante. La petite fille, ravie de la situation, sautille de joie. Bientôt, la joyeuse petite troupe se retrouve devant un bâtiment ancien à l’intérieur duquel, derrière une vitrine, s’activent de nombreuses ouvrières assises derrière des machines à coudre. La petite fille n’a jamais vu une scène comme celle-ci. Mais elle n’est pas au bout de ses surprises car arrivée dans le hall d’entrée, elle remarque une machine à pointer. La petite fait la moue en la voyant.

  • Je me demande à quoi cela peut bien servir, se dit-elle.

La fillette n’a pas le temps de poser la question à voix haute qu’elle arrive déjà, accompagnée des trois dames, dans l’immense salle qu’elle vient d’apercevoir depuis le trottoir. Ses oreilles sont prises dans un indescriptible brouhaha. Cela vient des machines à coudre derrière lesquelles une cinquantaine de couturières sont affairées. Partout, des cygnes dorés glissent avec le tissu grenat qui s’écoule comme une rivière des mains agiles des ouvrières avant de former sur le sol des plis gracieux.

  • C’est sûrement le tissu dont elles parlaient lorsque nous étions assises sur le banc au milieu de la circulation, se dit la visiteuse.

Le chef d’atelier ne tarde pas à s’apercevoir de la présence des nouvelles arrivées et se dirige vers elles. Il s’adresse à la dame que la fillette trouve la plus entreprenante.

  • C’est la directrice, lui chuchote la cadette des trois femmes. Elle s’appelle Stéphanie.
  • Moi, c’est Marion ! dit la fillette.
  • Tu as raison, nous ne nous sommes pas présentées. Je m’appelle Ginette. Je suis responsable de l’achat des tissus.
  • Moi, c’est Antoinette et je suis cheffe d’atelier avec Roland ici présent.

Tout le monde se serre la main. Stéphanie, la directrice, Ginette, la responsable de l’achat des tissus, Antoinette et Roland, chefs d’ateliers, se lancent dans une discussion animée, tandis que Marion part à la découverte de cet environnement si nouveau pour elle. Debout au milieu des couturières, Marion imagine des réceptions, des fêtes, des bals avec des chevaliers et des princes bien habillés, chaussés de belles bottes et de grandes dames portant avec élégance des tissus de toutes les couleurs, de toutes les textures. Elle-même se projette dans une robe de velours et même de soie grenat. Pendant ce temps, le cliquetis des aiguilles courant sur les mètres de tissus avec celui des pédales des machines à coudre excitent l’imagination de Marion et voilà que soudain, elle voit des centaines de cygnes brodés s’envolant des étoffes l’emportant au passage dans un monde lointain dans lequel des fils d’or pendent aux arbres.

De l’usine, la petite fille a tout oublié. Des oiseaux merveilleux s’approchent de Marion. Leurs plumes sont chacune d’une couleur bien distincte. Des reflets d’or et d’argent scintillent et dispersent une douce lumière. Marion ne sait plus où regarder devant tant de beauté.

Tandis qu’elle s’émerveille, les oiseaux se concertent pour savoir qui va prendre la parole. Celui doté du plus beau chant est désigné. Aussitôt, le merle sautille en direction de Marion.

  • Serais-tu prête à faire un grand voyage avec nous ? Un voyage merveilleux ?
  • Bien sûr que je suis prête, bien sûr que je veux vous suivre !
  • Nous allons t’emmener dans le royaume de la reine de toutes les couleurs. Nous les oiseaux, avons l’habitude de nous laisser emporter par les ailes du vent jusqu’à l’arc-en-ciel, porte de son domaine.
  • Et moi ? Comment je vais faire ?

La cigogne avance sur ses longues pattes avec majesté. Elle soulève une de ses ailes pour que Marion puisse monter sur son dos. L’instant suivant, une vingtaine d’oiseaux s’envolent, traversant les nuages jusqu’aux étoiles scintillantes. Marion est ébahie. Elle découvre pour la première fois la nuit drapée de milliers d’étoiles.

Nuit après nuit, d’étoile en étoile, les oiseaux finissent par redescendre jusqu’au point du jour où ils retrouvent le bleu du ciel. Devant eux, un arc-en-ciel s’ouvre comme une fleur.

Marion s’exclame :

  • Où vit la reine ?
  • Bientôt tu la verras. La reine veille sur les couleurs du monde dit le merle. Elle est notre protectrice. La reine de toutes les couleurs est une fée. Mais voilà plus d’une année qu’un gros orage a déchiré sa robe… Depuis, notre royaume est terne, fade, indifférencié. Les couleurs ont perdu de leur vivacité, leurs nuances. Et les fleurs, leurs parfums si spécifiques à chacune d’elles, à chaque saison. La beauté du monde est en train de s’éteindre et bientôt cela affectera la Terre où tu vis. Si nous ne réparons pas la robe, nous vivrons bientôt tous dans un monde sombre, sans âme. Nous les oiseaux, ne savons pas coudre. Nous n’avons ni fil, ni aiguille. La reine a perdu presque tous ses pouvoirs. Il lui en reste encore, mais pour très peu de temps. Nous sommes en pleurs devant ce grand malheur. Marion, tu dois nous tirer d’affaire. Nous te nommons couturière de la reine de toutes les couleurs.
  • Mais pourquoi moi ?
  • Parce que ton cœur est pur et que tu t’émerveilles devant la beauté du monde, à tel point que nous avons pu le voir depuis ici. Il n’existe pas beaucoup de fillette comme toi Marion.

Marion n’en croit pas ses oreilles et accepte immédiatement la proposition. Vivre dans le noir, sans plus de distinction, ah ça non ! Marion a bien l’intention d’aider la reine à préserver les couleurs offertes par la nature. Elle les trouve si belles. Sans attendre, elle s’élance dans les champs en chantonnant.

En entendant la voix de Marion dans les airs, la brise se met immédiatement à faire danser les coquelicots, dévoilant leurs teintes rouge vif, ainsi que les pâles bleuets au ton d’azur. Le lierre s’avance pour lui offrir sa verdure, les narcisses et les marguerites présentent leurs blancs pétales, tandis que le blé donne à la fillette tout le soleil dont il s’est gorgé pendant l’été pour rendre les couleurs que Marion récolte encore plus lumineuses. Délicatement, elle les place dans le pli de sa robe. Elle veut les ramener intactes en lieu sûr.

Les oiseaux sont stupéfaits devant cette scène spectaculaire et de joie, ils se joignent à elle pour l’encourager. Enthousiastes, ils pépient de tous les côtés, se rendent dans les coins difficiles d’accès pour y ramener les tiges les plus fines et les brindilles les plus délicates qu’ils donnent à Marion qui les amasse elles aussi dans le pli de sa robe. Le colibri déniche du fil à soie que lui présente un cocon abritant un futur papillon. Marion trouve sur sa route un joli bosquet dans lequel elle décide d’y installer son premier atelier de couture. Les troncs creux accueillent les pigments, tandis que Marion suspend les fils aux branches alentours. Tout est prêt.

  • Que l’on m’amène la robe déchirée ! Demande solennellement Marion aux oiseaux.

A l’aide d’une aiguille de pin et sous l’influence d’un nouveau chant, la brise rassemble tous les éléments. Entre les mains de Marion, tous se mettent en mouvement de telle façon que la robe est bientôt entièrement raccommodée.

Voyant la robe recousue, les oiseaux s’envolent chercher la fée installée sur un nuage. Devant elles, ils font la révérence et lui annoncent joyeusement :

  • Venez vite Majesté, votre robe est réparée !
  • Mais que s’est-il passé ?
  • Nous avons trouvé une toute jeune fille qui rêve de devenir couturière. Lorsqu’elle s’est mise à chanter, portée par la brise, toute la nature s’est mise en mouvement et, comme par enchantement, après quelques points habiles, la robe a retrouvé son état précédent l’orage. Nous pensons même qu’elle est encore plus belle qu’auparavant.

La fée émerveillée à l’écoute de cet incroyable récit se précipite avec son escorte d’oiseaux devant Marion qui l’attend en souriant.

Dès que la fée revêt la robe, elle retrouve immédiatement ses pouvoirs et se transforme en un magnifique paon blanc qui pour remercier Marion, fait la roue tout en lui demandant, maintenant qu’elle a restauré l’ordre des choses, quel est son vœu le plus cher.

  • Je veux être couturière et faire les plus belles robes du monde ! s’exclame la fillette.

Entre temps, Stéphanie, la directrice de l’usine s’avance vers Marion qui selon elle, se trouve toujours debout au milieu des ouvrières et des tissus grenats brodés de cygnes dorés. La voyant quelque peu dans la lune, elle lui dit :

  • A quoi rêves-tu ?
  • Je veux être couturière et faire les plus belles robes du monde répète naturellement la petite fille.
  • Ah bon ?

Les trois responsables de l’usine se consultent rapidement et d’un regard complice, acceptent immédiatement de prendre en charge l’avenir de Marion. Avec l’accord de ses parents, la jeune fille rejoint régulièrement l’équipe qui s’est toujours voulu gagnante.

Quinze ans plus tard, Marion est devenue l’inspiratrice de toutes les créations au sein de l’usine. Chacun, grâce à ses propres talents occupe un poste dans lequel il est heureux de travailler. Chacun connaît sa fonction.

Un jour, alors que Marion chantonne en travaillant, un homme élégant fait son entrée dans le grand hall. Cela fait quelques mois déjà qu’il cherche à entrer en contact avec Marion. Lui est fabriquant de tissus. Dès qu’il la voit, il lui offre en guise de cadeau, une plume de paon blanche trouvée chez le fleuriste à côté. Marion est émue. Il se présente : je m’appelle Gilles. Gilles Des Oiseaux. Leurs visions du monde est si complémentaire qu’ils décident de travailler ensemble et c’est ensemble qu’ils donnent naissance aux idées les plus originales et les plus fines. Leurs créations connaissent le succès. Le jeune homme fini par demander Marion en mariage à qui il offre son nom. Depuis ce jour toutes leurs créations portent la griffe de Marion Des Oiseaux. Il se dit dans le monde de la mode, que “Marion Des Oiseaux” est sur toutes les lèvres. La griffe fait l'unanimité auprès de toutes les générations.

 

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Reprise d'après un conte écrit par les participantes de l’atelier d’écriture créative collective de la Maison de retraite du Petit-Saconnex animé par mes soins en 2015 avec le soutien du service d’animation des résidences.

Les co-auteures sont : Madame Marcelle Fournier et feues Mesdames Janine Martin, Béatrice Jaquier, Dany Robert, Cécile Zumthor, Louise Dumas aujourd’hui disparues.

Reprise et finalisation / Illustration : @2024 Patricia Rosselló. Tous droits réservés.